Par Thomas MERABTENE ©

 Le calme était retombé dans la pièce faiblement éclairée par quelques bougies. Kuchikina était là, allongée sur son lit toute transpirante. Elle haletait encore de ses interminables efforts. Son mari était venu lui tenir la main et la serrer tendrement de ses bras, dès que tout ce fut finit. Ils partageaient ensemble le supplice qu'elle avait enduré quelques minutes auparavant. Kuchikina pleurait de joie et de fatigue. Elle s'abandonna complètement à ses émotions et se laissa porter par le flot vertigineux du bonheur. Kyushu, lui versa, discrètement quelques larmes. Elle était très affaiblie et elle n'eut la force de dire mot. Elle était heureuse d'avoir survécue car pendant quelques instants elle crut qu'elle allait mourir sur son lit. Quoiqu'il en soit, ils étaient tous deux au comble de la joie d'être devenus parents.

Les trois nouveaux nés venaient d'être confiés au karo de Kyushu : Kakita Takanabe. Les shugenja accoururent de chaques coins de la cité pour consigner cette événement par écrit. Beaucoup attendaient patiemment la naissance d'un enfant et ils en virent arriver trois ! Tous furent très surpris d'autant plus que la plupart pensaient ses accouchements légendaires. Certains prirent peur en pensant à un mauvais présage et ne voulurent même pas voir les enfants. Takanabe, voyant l'assemblée de personne toutes impatientes de pouvoir regarder les petites merveilles, entama un discours :

" Samouraï de la noble famille Asahina ! Ecoutez moi ! "

Petit à petit, le silence retomba dans les lieux et désormais tous les regards convergeaient vers le karo.

" Ecoutez ! Ce soir comme vous l'avez vu, non pas un mais trois enfants sont nés. Ceci n'était pas prévu et cet événement à pris nos shugenja au dépourvu. Leur travail est donc désormais triplé. D'autant plus qu'il est très tard mes frères alors retournez donc vous coucher. La seule chose que je puisse vous dire, c'est qu'il y a deux garçons et une fille. Demain, vous pourrez tous voir les nouveaux venus. "

Quelques mécontentements se firent entendre dans la salle, mais le palais se vida petit à petit et Takanabe retourna avec les shugenja qui s'occupaient alors des trois enfants. Il s'enquit auprès des Asahina si il était normal que les bébé pleurent autant. Ils acquiescèrent et Takanabe ne fit aucune remarque. C'est alors qu'il se rendit compte qu'il manquait un shugenja.

- " Mais où est donc passé Asahina Kensaku san ?
- Je crois que Shosuro Kuchikina sama va avoir un quatrième enfant.
- Quatre ! s'exclama t-il
- Oui quatre vous avez bien entendu. Shosuro Kuchikina sama est une femme pleine de surprises, mais dans l'état où elle était tout à l'heure, je crains fort qu'elle ne supporte pas un quatrième.
- Alors prions les fortunes pour que tout se passe bien. "

Takanabe avait la beauté typique des Kakita : Il avait le visage fin et les traits assez prononcés. Un beau nez aquilin qui faisait toute sa fierté ornait son délicat visage. Son kimono n'avait jamais un pli et son apparence était toujours très soignée. Il prenait précieusement soin de son corps et de son visage. Il était aussi un maître de la technique du iajitsu. Takanabe avait un sens exacerbé du devoir et était aussi prétentieux qu'il était fier. Il était un être rapide et adroit ce qui, combiné à son intelligence et à son charisme, faisait de lui un grand meneur d'homme. Mais toutes ses qualités ne compensaient en rien la déloyauté et l'ambition de Takanabe. Car figurez vous que son amour pour la beauté féminine l'avait poussé à trahir Doji Kyushu sama. En effet, la belle Kuchikina entretenait secrètement plusieurs amants dont le karo. Il vouait à Kuchikina un amour passionné qu'il savait impossible. Alors Kuchikina le retint dans ses pinces en lui affabulant qu'un jour elle trahirait son mari afin que le karo puisse prendre sa place à la tête de la cité. Mais elle n'y avait aucun intérêt car elle n'aimait pas réellement le karo et ne le faisait languir que pour avoir un total contrôle de ses proches.

Lorsqu'ils eurent fini la toilette des bambins, Takanabe et l'un des shugenja, emmenèrent les enfants dans leur petite chambre. Takanabe resta avec les trois nouveau nés afin de veiller sur eux. La pièce était très peu éclairé pour que les enfants puissent s'y endormir. A vrai dire, la seule bougie allumée se trouvait sur une petite table aux côtés de Takanabe. Cette dernière faisait danser sa flamme pourpre dans la pénombre de la pièce. Les nourrissons pleuraient si fort que pendant quelques instants, Takanabe dût s'en boucher les oreilles. Quelques minutes plus tard, ils se turent et dormir tous d'un obscur sommeil. Takanabe n'avait de cesse de balayer la pièce du regard essayant de percer les ténèbres de la petite salle en fronçant les sourcils. Il était à l'affût du moindre bruit, la main sur le katana. C'est alors qu'il crut voir les ombres bouger. Il s'approcha avec méfiance, le bougeoir à la main. Il regarda de plus près et ne vit rien. Son imagination lui jouait des tours ; l'émotion ou le stress se dit-il. Il retourna donc se poster devant la porte en reposant le bougeoir sur la petite table adjacente.

Pendant ce temps, Shosuro Kuchikina avait accouché d'un quatrième et dernier enfant. Elle avait dépensé toute son énergie pour mettre au monde son ultime petite fille. Kuchikina était allongée là, sur les draps rouges et noirs. Elle avait les yeux fermés et un magnifique sourire serein figé sur le visage. Kuchikina était une des plus belle femmes de Rokugan. Son maquillage était parfaitement étudié et elle avait la peau immaculée. Son masque ne cachait en rien ses traits fins et délicats : les légères pinces du scorpion lui arrivaient au niveau des yeux noircis au Kirei-ko et la queue lui permettait d'attacher ses cheveux en un volumineux chignon qui désormais n'était plus. Sa douce main blanche était délicatement posée sur le mon de sa famille. Son kimono écarlate aux sombres broderies était très mal ajusté et tout chiffonné comme si elle s'eut été débattue pendant des heures. Kyushu était assis à ses côtés pleurant et maudissant la mort de sa ravissante femme. Il était seul avec elle et murmurait avec peine, la voix tremblante, quelques paroles inaudibles. Il voulait plus que tout la prendre et la serrer une dernière fois dans ses bras, lui dire je t'aime. Mais désormais, la sulfureuse Kuchikina était partie vers une autre vie. Lui était condamné à rester là, seul avec ses larmes et sa mélancolie. Après un bon quart d'heure, Kyushu se résolu à sortir comprenant qu'il ne put y avoir d'autres issues. Il partit sans se retourner, le dos droit et la tête haute mais le coeur déchiré.

Le couloir était plus sombre que de coutume et le silence qui y régnait paraissait presque anormal. Il erra quelques temps dans les magnifiques corridors de son palais en quête de paix de l'esprit mais il ne la trouva pas. Il se décida alors à aller voir ses enfants. Il entendait ses propres pas résonner dans les interminables galeries. Il était comme un fantôme dans les profondeurs d'un château. Kyushu n'était pas spécialement bel homme et pourtant, il plaisait beaucoup aux femmes. Sa place au sein de l'ordre céleste lui avait permit d'être très sollicité par les pères de jeunes nobles. Mais Kyushu était réputé comme un être sans coeur. On racontait qu'il ne pouvait avoir ni pitié, ni amour, ni compassion. Kyushu était communément surnommé par certains " Coeur de glace ". Il avait repousser sans remords toutes les propositions de mariage que l'on lui avait proposées jusqu'au jour où il rencontra le belle Kuchikina dont il tomba tout de suite amoureux. A partir de cet instant, Kyushu n'eut de cesse de penser à elle. Il se mit à lui faire la cour en composant quelques délicieux poèmes. Il était devenu un autre homme et n'était plus craints par ses hommes à qui son regard terrifiant faisait peur. D'autant plus que Doji Kyushu était grand et particulièrement bien bâti. Il avait une trentaine d'année mais en paraissait dix de plus ce qui lui donnait l'air sage et respectable. Il avait la mâchoire très carrée et de coutume aucune expression ne laissait paraître sur son visage. Quelque fut la situation, il restait impassible. Mais comme je le disais, Kyushu était devenu vulnérable et il aurai été prêt à tout pour la séduire. Il était devenu chaleureux avec ses hôtes et compatissant envers ses hommes. Kuchikina vit en Kyushu une belle occasion de se faire un nom. Et après avoir mis à l'épreuve la fidélité et la loyauté du riche daïmio, elle se rendit compte qu'elle pourrait tirer beaucoup de ce mariage. Finalement, elle accepta et ils se marièrent. Kuchikina se montra serviable, courtoise et aimante. Elle se comportait en parfaite épouse et accueillait chaleureusement tout nouvel hôte. Quant à Kyushu, il était resté dans cet état d'omni-fascination que l'on ressentait dans tous les domaines dans lesquels il était compétent. Il était désormais chaleureux, généreux et aidant, alors qu'il restait toujours indifférent au malheur des autres. Le daïmio avait perdu beaucoup de ses richesses à cause de son nouveau manque de rigueur. Car jadis il avait été un homme très exigeant et extrêmement pointilleux. C'est peut être cela qui lui valu sa place dont il n'a pas hérité mais qu'il a lui même conquis.

Après quelques minutes qui lui parurent des heures, Kyushu arriva devant la porte de toile. La silencieuse porte coulissa lentement, ce qui n'alerta même pas l'attention de Takanabe qui se tenait de dos. Lorsque Kyushu s'apprêta à rentrer, Takanabe entendit le bruissement du kimono et se retourna vivement, prêt à dégainer. Kyushu ne cilla pas et regarda Takanabe droit dans les yeux. Le karo en eut un frisson dans le dos. Le regard de Kyushu laissait paraître toute sa détresse et son désespoir. Confus, Takanabe se cabra et bafouilla quelques excuses. Mais Kyushu passa sans même le saluer ni même faire attention à lui. Il pris la petite bougie, et se pencha sur l'un des berceau : vide. Il fit de même avec celui d'à côté : vide. Le troisième était vide aussi. Il se retourna vers Takanabe :

- " Où sont mes enfants ? demanda t-il d'une voix morne et sans vie
Le karo fronça les sourcils
- Ne sont-ils points dans leurs lits ?
- Non ils n'y sont pas.
Le visage de Takanabe se décomposa devant le regard sans pitié de son maître.
- Je.........je........

Takanabe se précipita en dehors de la pièce appelant aux gardes. Sa voix s'éloignait à grands pas alors que Kyushu était tombé les genoux à terre, achevé par ce dernier coup. Son coeur se mit à s'accélérer puis à palpiter à une vitesse abominable. Il entendait son coeur battre à toute allure, il fixa la porte entrouverte, les larmes lui vinrent aux yeux, sa vue se troubla, et il tomba.

- " Doji Kyushu sama ? "

La voix douce et fluide qui venait à son esprit lui résonna plusieurs fois dans la tête et le sortit lentement de sa torpeur. Ses paupières s'entrouvrirent et il perçu une forme vaguement humaine au-dessus de lui. Mais tout était encore trouble. Il se frotta donc brièvement les yeux et sa vue redevint nette, constatant que Asahina Kensaku san, son meilleur shugenja s'occupait de son état de santé agenouillé à ses côtés. Kensaku était un petit homme affable et souriant qui ne manquait pas d'embonpoint. La faible lumière des quelques bougies installées autour semblait danser sur son crâne luisant. Kensaku était un bon vivant à l'esprit rieur. Il était plein d'humour et possédait un fort sens de l'auto-dérision grâce auquel il divertissait bien souvent les invités. Partout on parlait de Kensaku comme un être pitoyable et les railleries de ses frères allaient bon court. Mais les plus proches de ce dernier le respectait énormément car ils savaient pertinemment que Kensaku était un shugenja hors pair à l'intelligence incroyable et que peu à Rokugan pourrait l'égaler. Il afficha un sourire rassuré et rassurant en prononçant calmement ses quelques paroles :

- " Ah ! Doji Kyushu sama ! Comme je suis heureux que vous soyez encore parmi nous. Vous savez que vous m'avez fait très peur quand je vous ai vu allongé sur le sol. J'ai vraiment cru qu' il vous était arrivé quelque chose de grave.
- Mais il m'est arrivé quelque chose de grave ". articula avec peine et d'une voix mourante Kyushu

Kensaku se tut immédiatement et ne répondit pas tournant la tête faisant mine de s'occuper d'autre chose pour éviter le regard de Kyushu. Après un long silence, Kensaku se tenta à briser la quiétude des lieux :

- " N'avez-vous besoin de rien ? Un bon thé peut-être ? Ou bien un bon bain chaud ? Ou.... Mieux encore ! Pourquoi pas un petit..........
- Où sont mes enfants ? le coupa t-il d'une voix plus vigoureuse.
- Ecoutez Doji Kyushu sama. Vous n'êtes pas très bien et peut être un peu de sommeil vous ferait-il du bien.
- Où sont mes enfants ? insista t-il
- Je...... je ne sais pas. Le shugenja au kimono bleu devint écarlate car il était très gêné par cette question en vérité.

Ce que je sais s'est que votre dernière petite fille c'est réveillée il y a peine une heure et qu'elle est aux bons soins de mes frères de la famille Asahina.

Une larme coula sur le visage de Kyushu puis tomba à terre. Il reprit la parole en se relevant avec peine. Kensaku se releva lui aussi :

- " Où est Takanabe ? demanda Kyushu d'une voix tranchante.
- Je pense qu'il ne devrait pas tarder à se réveiller. Dame Soleil s'est levée il y à déjà quelques temps.
- Alors allez le réveiller sur le champs et qu'il me rejoigne tout de suite dans les jardins ! ordonna sèchement le daïmio.
- Ce sera tout de suite fait.

Kensaku s'inclina très respectueusement et sortit laissant Kyushu songer aux événements de la veille.

Quoiqu'il en soit, lorsqu'il sortit de ses pensées, Kyushu était déjà arrivé dans les jardins sans même s'en être aperçu. Il repensait à sa femme et aux bons moments qu'ils avaient passés ensemble avec mais il lui fallait chasser ces pensées de son esprit, sous peine de mourir de chagrin. C'est alors que Takanabe arriva dans son kimono bleu, la tête baissée. Lorsqu' il vit Kyushu, il se jeta à ses pieds :

- " Daïmio sama ! se lamenta la karo.

Ma faute est impardonnable et je ne pourrai vivre avec le poids de cette lourde erreur. Daïmio sama, je vous en prie laissez-moi me faire le seppuku.

- J'ai bien réfléchi Takanabe et ta faute est en effet impardonnable mais t'a demande se voit être refusée. En contre partie, j'enverrai une requête à Kakita Yoshi sama afin que tu perdes ton nom et ton clan. Ainsi, tu parcourra les sentiers de Rokugan en quête de celui qui a causé ta perte. Tu devras revenir ici même, en mon palais tous les an à la même date et si tu n'as trouvé personne dans l'année écoulée, tu seras torturé pendant un jour et une nuit. Ensuite nous te laisserons repartir et l'histoire se répétera jusqu'à ce que tu m'ais ramené celui qui m'a pris mes enfants. Seulement alors tu pourras mettre à nu la lame de ton wakisachi et dignement mettre fin à tes jours. Il va de soi que je veux, non seulement un coupable, mais aussi des preuves. Si tu ne reviens pas à la date prévue, ne serait-ce que tu n'ai qu'une journée de retard, je n'aurai alors aucun scrupule à jeter la honte sur toi et ta famille toute entière. "

Le magistrat restait immobile aux pied de Kyushu en écoutant ses paroles qui lui parurent tels des coups de tetsubo. Kyushu avait reprit un ton froid ne laissant apparaître aucune émotion ni aucun remords. Takanabe acquiesça doucement. " Bien mon maître " lui dit il. Sur ce, Kyushu partit laissant Takanabe sur le pavé de la petite allée.

 



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